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25.11.2008

La tension monte à La Garenne-Colombes (Kleber Haedens)

http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/11/24/le-ton-monte...

La république des livres.

Le Monde.fr le 24.11.2008 par Pierre Assouline

La tension monte à La Garenne-Colombes

390207f381a497787ae8c7e22ef31e74.jpgQui aurait imaginé au mitan du XXème siècle que dans les années 2000, on en viendrait verbalement aux mains à cause de l’écrivain Kléber Haedens ? Personne. C’est pourtant ce qui se passe depuis peu du côté de La Garenne-Colombes. Et la situation risque de dégénérer, d’autant que des manifestations sont prévues après-demain, après les distributions de tracts de “pro” et d’”anti” samedi au marché. C’est en effet mercredi, en présdence de l’académicien Jean d’Ormesson, que la municipalité de cette commune des Hauts-de-Seine doit poser la première du futur collège du quartier des Champs-Philippe, un collège dit HQE, c’est à dire construit aux normes “Haute Qualité Environnementale”. Son nom ? Collège Kléber Haedens. Une appellation d’origine très contrôlée, portée hâtivement sur les fonts baptismaux le 20 octobre, comme s’il y avait urgence, alors que le bâtiment ne doit être inauguré qu’en septembre prochain. Tout cela est d’autant plus curieux que les travaux sont déjà bien avancés. Mais ainsi en ont décidé après délibérations le Conseil municipal de la ville et le Conseil général du département.

C’était le choix du maire de la ville depuis sept ans, le docteur Philippe Juvin, professeur de médecine, vice-président du Conseil général et secrétaire national de l’UMP.

Or, contrairement à Deng Xiaoping, Kléber Haedens n’y a jamais habité. Son oeuvre n’a pas davantage de rapport avec cette ville. C’est simplement que M. le maire a voulu honorer la mémoire de l’un de ses écrivains de chevet. Sans demander l’avis des enseignants, des parents d’élèves ou des habitants du quartiers. Dans le même élan, il serait déjà prévu de distribuer

Une histoire de la littérature française de Kléber Haedens aux enfants entrant en 6ème “afin de développer leur esprit critique”. Aussitôt, la contre-offensive s’est organisée auprès d’un certain nombre de garennois afin que l’on ne donne pas le nom d’un “écrivain antirépublicain qui préférait les valeurs de la la Révolution nationale à celle des la Révolution française“.

66046d4b8ab22423becb7345e8bf0a89.jpgDes pétitions ont circulé, des conseils municipaux ont été alertés, et Bernard Dargols, un ancien combattant garennois, vétéran du Débarquement à Omaha beach, s’est même dit prêt à rendre ses décorations ; en attendant, il écrit une lettre ouverte intitulée ”J’ai honte d’avoir survécu pour voir ça à La Garenne-Colombes”.

Il est vrai que les détracteurs de Philippe Juvin se sont mis entre temps à explorer le dossier Haedens et qu’ils ont mis en ligne sur leur blog un certain nombre d’informations dans lesquelles l’Action française cotoie Je suis partout et l’OAS ; dans le même temps, les catholiques traditionnalistes célèbrent à l’église Saint-Urbain de cette ville une messe selon le rite extraordinaire (missel du Bienheureux pape Jean XXIII) depuis dimanche dernier ; ce qui amène donc des garennois à se souvenir que, malgré les requêtes de l’opposition municipale, le “Liberté, égalité, fraternité” qui avait disparu du fronton de la commune il y a quatre ans n’a toujours pas réapparu !

Pour les contrer, le maire diffuse ce matin sur son blog une intervention du journaliste André Bercoff qui prend sa défense au nom du combat contre “le politiquement correct”, évoque les boulevards Lénine de nos ex-blanlieues rouges et prévient que si ça continue, si le “scandale” du boyccot de Haedens devait perdurer, il n’y aurait plus qu’à réactiver les Sections spéciales…

Le blog de Philippe Juvin en fait lui aussi des tonnes. Ainsi ose-t-il, à travers un communiqué de soutien de l’UMP local, présenter Kléber Haedens comme “un résistant” (ce qui doit bien le faire rire là-haut) au motif que juste après la guerre, Pierre Bénouville a écrit dans ses mémoires que son ami écrivain lui servit occasionnellement de boîte aux lettres à Lyon. Encore faut-il préciser que Bénouville lui-même continuait jusqu’en 1943 à collaborer comme lui à des organes maurrassiens, antirépublicains, antisémites et anticommunistes tels que L’Alerte de Léon Bailby notamment. Quelle caution de moralité, Bénouville !

Le blog va jusqu’à mettre Kléber Haedens sur la même ligne et sur le même plan qu’Honoré d’Estienne d’Orves, premier martyr de la Résistance exécuté par les Allemands au Mont-Valérien, et que Georges Bernanos, un authentique grand écrivain, lui, qui jeta son talent et son autorité morale dans les articles qu’il écrivit pour défendre la Résistance et la France libre depuis le Brésil où il s’était exilé. Un amalgame indécent entre ces trois hommes au motif qu’il avaient été tous les trois “royalistes, maurrassiens et résistants”. Ce qui n’est pas pour déplaire au site maurrassien Royal-Artillerie. 

a95a9c8b99aa97687d902cb80b8584a2.jpgAlors qu’en est-il exactement de Kléber Haedens (1913-1976), si fameux qu’il vaille que l’on s’étripe autour de son nom ? Ce n’était pas vraiment un homme de gauche, non. Formé à l’école du polémiste Léon Daudet, il fraya dès sa jeunesse avec les milieux d’Action française avant de rejoindre ceux qu’on a appelé “les non-conformistes des années 30″ ( Maurice Blanchot, Robert Brasillach, Denis de Rougemont etc) à la revue mensuelle Combat au moment où elle devenait de moins en moins culturelle et de plus en plus politique. Avant-guerre, il collabora également par ses articles à des journaux d’extrême-droite tels que L’Insurgé, L’Action française, Je suis partout mais aussi de la NRF à partir de 1939. Il fut l’un des secrétaires de Maurras à Lyon lorsque l’AF s’y replia, comme Michel Déon.

Sous l’Occupation, avec quelques camarades de Combat dont Claude Roy, il adhéra aux Compagnons de France, mouvement qui dépendait du Secrétariat général à la Jeunesse du gouvernement de Vichy. Mais dans ses articles de la revue lyonnaise Confluences et du Figaro entre autres, comme dans ceux de 1940-1942 dans des journaux de zone sud (L’Alerte, Idées), ce maréchaliste n‘hésitait pas à moquer la prétention du nouvel ordre moral à régénérer la littérature :”Entreprendre le redressement d’une littérature qui compte des écrivains comme Claudel, Maurras, Valéry, Proust, Gide, Giraudoux, Montherlant est une prétention ridicule. On n’avait pas eu une pareille floraison de talent et de génie depuis le XVIIème siècle” (cité par Gisèle Sapiro dans La Guerre des écrivains, Fayard, 1999). La littérature au-dessus de la politique : ce sera sa constante jusqu’à sa mort. Quant à sa collaboration à l’hebdomadaire Je suis partout, brandie par ses adversaires d’aujourd’hui, elle se résume à deux articles littéraires les 25 mars et 1er juillet 1938, et à une nouvelle intitulée “Pas de chance” le 22 mars 1940 (selon Pierre-Marie Dioudonnat Les 700 rédacteurs de Je suis partout 1930-1944 , Sedopols, 1993).

Après-guerre, Kléber Haedens collabora à de nombreux journaux (Paris-Presse, Candide …).

Parallèlement, il mena une activité de romancier (Salut au Kentucky, Adios, L’été finit sous les tilleuls) laurée notamment par le prix Interallié et le prix de l’Académie française. Autant si ce n’est plus que ses romans, ses essais et notamment le remarquable Une histoire de la littérature française (publié en 1943 et repris chez Gallimard dix ans plus tard), en ont fait l’un des pères spirituels de ces agitateurs de la droite littéraire qu’on appela “les Hussards”. Ce qu’une anecdote résume mieux que tout : en 1976, Paul Morand mourut pendant le Tour de France, et Kléber Haedens quinze jours plus tard ; Antoine Blondin qui passait par là en suivant les cyclistes fit un détour par la maison de Haedens, près de Toulouse, où il avait si souvent été, pour lui faire ses adieux en compagnie de quelques amis ; un chauffeur-livreur se présenta qui venait livrer “la cave de M. Morand” dont Haedens était l’héritier. Le lendemain, il n’en restait rien. Quand il reprit ses esprits deux jours plus tard, Blondin conclut :”Tout le reste n’est que litres et ratures”. Ceci pour dire que Kléber Haedens après les années 50, c’était surtout ça, qu’on aime ou pas cet état d’esprit : un anar de droite qui croyait avant tout au rugby, à la tauromachie, aux amis, au vin et surtout à la littérature.

Ce qui ne l’empêcha pas d’adhérer au comité Charles Maurras à l’occasion de son centenaire en … 1968, ce qui n’en faisait pas vraiment un opportuniste.

Voilà Kléber Haedens. Sa présence s’impose-t-elle au fronton d’une école dans une ville où il n’avait peut-être jamais mis les pieds ?

J’avais de la sympathie pour le personnage et j’éprouve toujours un vif plaisir à relire certains de ses livres ; mais franchement, la France ne manque pas de grands écrivains à honorer tout en honorant une école, sans qu’il soit nécessaire d’aller chercher du côté des seconds couteaux, surtout si leur passé prête à controverse alors qu’une telle initiative doit être par définition consensuelle. L’affaire valait qu’on s’y attarde car elle est un reflet de l’air du temps en France. En septembre prochain, une école primaire doit ouvrir ses portes à La Garenne-Colombes en même temps que le collège Kléber Haedens. Elle s’appelera “Ecole Jean Jerphanion”, du nom du héros des Hommes de bonne volonté de Jules Romains. Rien à signaler sur ce front-là, pour l’instant.

(”Charles Maurras au bureau” photo D.R.)

 

Pierre ASSOULINE