20.11.2008
Grand style et abjection de la droite littéraire (kleber Haedens)
Par Pierre Assouline
Voir l'article : Grand style et abjection de la droite littéraire
Qui peut sérieusement nier que la droite eut le monopole du talent littéraire en France des années 20 aux années 60 ? Bien sûr, tout ceci est à nuancer tant c’est arbitraire, subjectif, discutable. Et puis qu’est-ce que le talent et qui est vraiment de droite ? Pas le génie, ni la grandeur ou l’influence, juste le talent, cette ironie sur le monde, brillante et souriante; qui n’a pas son pareil pour parler légèrement des choses graves et gravement des choses légères. On ne va pas tout de même relancer la sempiternelle scie célinienne sur le style contre les idées ! Mais il suffit de tracer deux colonnes et d’aligner les noms : le déséquilibre est patent. D’un coté les Giraudoux, Montherlant.. De l’autre, Aragon est l’alibi idéal des hommes de droite qui se veulent ouverts et tolérants. Pour le reste, que des exceptions qui ont nom Roger Vailland et quelques autres.
Mais pour avoir su manier le grand style, les "Messieurs Jadis" de cette droite des Lettres n’en ont pas moins souvent versé dans l’abjection sans même attendre la "divine surprise" d’une occupation étrangère.
Cette cohabitation de la finesse de plume et du mépris, sinon de la haine, demeure un mystère. C’est dire tout l’intérêt du livre de François Dufay Le soufre et le moisi (237 pages, 16,50 euros, Perrin). Ses sous-titres annoncent que le journaliste du Point s’est consacré à la droite littéraire depuis 1945. Deux figures la dominent : Paul Morand et Jacques Chardonne. Le livre, qui relève davantage de l’enquête que de l’essai, s’est penché sur l’empire que ces deux écrivains ont exercé sur la génération du couvre-feu, celle desdits "hussards" Roger Nimier, Antoine Blondin, Michel Déon, Jacques Laurent, François Nourissier ainsi que, dans une moindre mesure, ces critiques qui furent un temps leurs chevau-légers Bernard Frank, inventeur du label Hussard, Jean-Louis Bory et Matthieu Galey.
Mais il est fait peu de cas de Kléber Haedens et de Jacques Perret.Ce paradoxe, je le vis depuis l’âge de 20 ans : fasciné par leur écriture, après avoir été séduit par celle d’Henri Béraud, de Léon Daudet, de Drieu La Rochelle, convaincu que la légendaire "clarté française" s’y était réfugiée, je me suis depuis cogné à ce paradoxe : une admiration inentamée pour leur style, ce mordant fait d’un alliage de légèreté et de vivacité, qui est toujours allée de pair avec une aversion grandissante pour leur imprégnation fasciste. Même et y compris lorsqu’elle se glisse en contrebande là où on ne l’attend pas. François Dufay se livre à ce sujet à une analyse très fine de cette merveille qu’est Le Flagellant de Séville (1951) dans laquelle Morand superpose à l’occupation napoléonienne de l’Espagne celle de la France bien plus tard. Pareillement pour sa lecture de l’inoubliable Fouquet ou le soleil offusqué où il invite à déceler l’arbitraire gaullien en filigrane derrière l’absolutisme louisquatorzien. Mais contrairement à l’auteur, je n’ai pas conservé de ma lecture éblouie de Hécate et ses chiens du même, le souvenir d’un "roman pédophile". Il faudra que je le relise.
Face à ce qui apparaît souvent comme une nuit noire de l’intelligence et de la morale, on se prend à regretter que Bernanos n’ait pas exercé davantage d’influence sur eux. Mort trop tôt probablement. Trop puissant et trop profond pour eux. Ils y auraient perdu en légèreté ce qu’ils y auraient gagné en épaisseur.
Le fait est qu’ils n’ont jamais supporté, eux, qu’on leur renvoie après coup leurs engagements politiques à la figure, qu’on les mette devant leurs responsabilités, qu’il s’agisse de la tentation fasciste, du maurrassisme, de la collaboration ou de l’OAS.
Jacques Laurent m’avait autrefois adressé une longue lettre critique à la suite d’un de mes livres : il m’y reprochait de vouloir absolument "politiser" leur histoire quand lui ne voulait l’envisager rétroactivement que comme une aventure purement littéraire. En cela, il résumait bien la pensée des autres puisque Blondin et Déon ne m’avaient pas dit autre chose.
Cette douteuse séparation du bon grain et de l’ivraie, qui m’a toujours paru irrecevable, était une manière de faire l’impasse sur le legs confus hérité des deux maîtres à écrire et dont leur correspondance déborde : antiparlementarisme, antisémitisme, homophobie, misogynie…
Exemple parmi cent autres tiré d’une lettre de Morand à Chardonne le 7 mai 1960 : "Là où Juifs et P.D. s’installent, c’est un signe certain de décomposition avancée ; asticots dans la viande qui pue".
Le reste est de la même encre, liquide superbe qui mais qui pue.
Le pire est que lorsqu’on fait aujourd’hui l’inventaire de leurs haines chics devant les inconditionnels, on s’attire immanquablement un :"Oui, c’est vrai… Et alors ?". Quand on pense que De Gaulle, qu’ils appelaient "Gaulle", a écrit à Chardonne en 1966 une lettre admirative pour le remercier de l’envoi de Propos comme ça, lettre dans laquelle on peut découvrir cet incroyable banc-seing :" Quand un écrivain a du style, ce qu’il dit a peu d’importance." Là, je me suis pincé, ayant encore en mémoire son roman demeuré inédit, heureusement pour lui, Le ciel de Nieflheim, dans lequel il chantait la gloire des SS, et ne pouvant oublier le mépris de ce même Chardonne pour son fils Gérard Boutelleau, authentique résistant, déporté, revenu squelettique des camps juste à temps pour sauver son père d’une sévère épuration et mort des années après sans que son père daigne même se déplacer pour ses obsèques après avoir affiché son indifférence à son agonie. Rien à faire : de quelque côté que l’on observe Morand et Chardonne, ils ne sont jamais à la hauteur de leurs dons. Humainement, zéro.
Un mot encore des sources de ce précieux ouvrage : leurs livres et leurs articles bien sûr, puisque c’est d’abord de ses écrits dont un écrivain peut répondre, mais aussi la correspondance inédite Chardonne-Morand consultée à la bibliothèque de l’université de Lausanne. C’est possible depuis l’an 2000 mais Gallimard ne cesse d’en repousser la publication tant elle est magnifique et atroce, veule et passionnante, à l’image du Journal inutile de Morand, mais en pire. En tout cas, le livre de François Dufay, admiratif pour le grand style mais impitoyable pour l’abjection, devrait déplaire aux héritiers des héritiers, pour la plupart logés à l’enseigne du Figaro et de ses satellites illustrés. D’ailleurs, il leur déplaît. Etonnant, non ?
12:55 Publié dans Kleber Haedens | Lien permanent | Commentaires (3) | Envoyer cette note | Tags : Garenne, Colombes, Haedens, Juvin, droite, collège
Commentaires
Belle démonstration, on nous oppose la Pensée Unique...
Philippe Juvin fait la démonstration qu'il y préfère la Pensée Inique ou la Pensée Cynique...
Assouline explique ce que nous défendons depuis le premier jour de cette "polémiquette", c'est entre les lignes que se cache l'épouvantable message de Kleber Haedens et des ses acolytes.
Je viens de finir l'homme Pressé de Morand, dès la 3ème page le couvert est dressé :
"...Pierre examina ce Regencrantz avec la sympathie qu'on éprouve pour qui vous parle de vous-même, bien qu'en principe il n'aimât pas qu'on lui touche le bras en murmurant à son oreille, mais il était habitué aux Juifs qui en vous parlant ont toujours l'air de faire une commission ou une confidence..."
Assouline a raison, certains répondraient "et alors ? C’est vrai non !"
La nausée est quasi immédiate à la lecture de l'histoire de la littérature d'Haedens. Lisez ses commentaires élogieux sur Maurras, sur Brasillach, sur Drieu de la Rochelle, sur Gaxotte, sur Morand, etc, etc...
Ensuite jugez par vous même la contribution de ces derniers à la pire période de notre histoire, à l'importance de leurs "fatwas" lancées sur leurs contemporains via la presse de Vichy, à la haine des juifs, des maçons, des républicains, des laïcs, de l'éducation nationale...
Ce projet est abject, notre commune de mérite pas une telle infamie, ce nom est une insulte à la mémoire de tous ceux qui, à travers le monde, sont tombés pour défendre la démocratie et la république.
Docteur Juvin, réveillez-vous, l’erreur est humaine, ne vous embastillez pas ainsi dans votre mairie.
Nous vous en conjurons !
Ecrit par : Poil à Gratter | 20.11.2008
Je viens d'avoir, à l'instant au téléphone un garennois qui confirme qu'une citation dans "Je suis partout" équivalait souvent à une condamnation à mort. Dois-je ajouter qu'il sait de quoi il parle ...
Même si Kleber Haedens n'y avait tenu que la rubrique "Météo" ou chiens écrasés ce serait déjà suffisant pour écarter son nom de notre collège.
"Avoir écrit dans la presse maurrasienne ... La belle affaire", ose encore écrire Mr le maire ... Citoyens, il y a un problème ! Réagissez, bordel !
Ecrit par : Philbert | 20.11.2008
Petit homage à l'affreux Stalinien qu'était Aragon et par la même à l'immense Léo Ferré dont la voix raisonne comme une consience universelle :
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c'est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m'éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j'ai cru trouver un pays.
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n'avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m'endormais comme le bruit.
C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n'en est jamais revenu.
Il est d'autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t'en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Ecrit par : Poil à Gratter | 24.11.2008
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