Ils mettent des nez rouges au défilé du
14 Juillet, plongent dans le noir le quartier
Saint-Michel, improvisent une fête lors
d’une visite collective d’appartement, font
irruption au Rotary Club de Neuilly où dîne Jean
Sarkozy ou dans une AG de Natixis… Ce sont des
activistes non-violents, anars, écolos, militants de
gauche, intellos précaires, intermittents du spectacle,
anciens condisciples de Sciences-Po.
Animés d’un nouvel esprit de contestation, ils
sont regroupés dans des collectifs tels que Les
Désobéissants, Jeudi Noir, le Clan du Néon, Anti-
Pub, Casseurs de Pub, les Dégonflés anti-4X4, le
Gouvernement Off…
«Le deuxième degré permet de faire passer plus
facilement le message, de décliner beaucoup
de thèmes et d’aborder nos cibles avec plus de légèreté,
explique Manuel Domergue, coanimateur de
Sauvons les riches et Jeudi Noir. La force subversive
de l’humour les empêche de se présenter en victimes. On
use envers eux de la même compassion qu’ils expriment
envers les classes populaires.»
Dans ce petit monde aux frontières poreuses,
tous se connaissent, communiquent en réseau,
passent d’un collectif à l’autre en fonction des
actions à mener.
Consciente du fait que les batailles
politiques sont aussi des batailles de communication,
cette mouvance ne se reconnaît pas
dans les modes d’action traditionnelles. Comme
son aînée Act Up, elle privilégie les coups d’éclat.
A défaut de défiler en cortège, leurs interventions
symboliques et festives interpellent les jeunes,
les pouvoirs publics et les médias. «Comme
on n’est pas nombreux, on est forcés d’innover, d’inventer
des formes attrayantes sur des sujets graves, comme
la cherté des loyers dans le but
de faire des images», explique
Manuel Domergue, 27 ans.
Environ 200 sympathisants de
20 à 32 ans et un noyau dur
d’une vingtaine d’activistes gravitent
dans l’orbite de Jeudi
Noir et Sauvons les riches, peu
désireux «d’être sur le mode sacrificiel de l’engagement».
Pas d’afflux massif de jeunes de moins de
25 ans, mais une sociologie très mixte caractérise
les Désobéissants, qui évaluent le nombre de
personnes ayant été formées au militantisme
altermondialiste en France et en Belgique à 2500,
au cours de 90stages. Les trois quarts d’entre
eux n’avaient, auparavant, jamais milité. «Il s’agissait
de gens en colère, en révolte, qui depuis longtemps
avaient envie d’agir, explique Xavier Renou. Il y
avait parmi eux des retraités, des cadres, des paysans,
des syndicalistes…»
Les Désobéissants fédèrent
aujourd’hui près de 6000 personnes. Comment
expliquer un tel engouement? «On met la pratique
et la solidarité avant l’idéologie, avance Xavier Renou.
On détermine des valeurs communes et des adversaires
communs: néolibéralisme, sexisme, toutes les formes
de domination. On est dans une logique de convergence
des luttes.»
Oeuvrant sans chef, les Désobéissants
rassemblent une majorité
de non encartés, les autres
étant issus de tout le spectre de
la gauche. Jeudi Noir a été créé
en 2006 à l’instigation des animateurs
de Génération Précaire,
un mouvement visant à dénoncer l’exploitation
des stagiaires au sein de l’entreprise. Les
Désobéissants sont nés sous l’impulsion de Xavier
Renou, 36 ans, ex-salarié de Greenpeace.
Parmi ces nouveaux militants, plus personne
ne rêve au grand soir et encore moins aux prophéties
dogmatiques. «Les appareils politiques n’ont
pas encore trouvé la formule pour capter cette nouvelle
énergie. Et puis, porter une étiquette est un frein»,
admet Julien Bayou, 29 ans, animateur de plusieurs
collectifs.
Prise à partie à plusieurs reprises par les jeunes
de Jeudi Noir quand elle était ministre du
Logement –entre mai 2007 et juin 2009– l’actuelle
présidente du Parti chrétien démocrate,
Christine Boutin, confesse que «ce type d’action
est plutôt adapté à notre époque et intelligent. Il faut
être inventif et utiliser les nouveaux outils comme
Internet et les mails. On peut porter des revendications
profondes dans la non-violence et la joie !»
De fait, Jeudi Noir se félicite d’avoir tiré la sonnette
d’alarme pour le logement étudiant.
Nicolas Sarkozy a indexé l’inflation des loyers sur
l’indice des prix à la consommation. Le dépôt de
garantie est passé à un mois et le plafond des ressources
a été baissé pour l’octroi de logements
sociaux. Chez les Désobéissants, on se réjouit
d’avoir empêché l’expulsion de sans-papiers,
contribué à la libération de Maria Petrella, ex membre
des Brigades Rouges, groupe terroriste
italien d’extrême gauche. Aux élections européennes
de mai a été élue Karima Delli, cofondatrice
de Sauvons les riches et Jeudi Noir sous
l’étiquette Europe Ecologie.
Le militantisme s’arme d’humour et de non-violence
Le Monde du 24 septembre 2009
par Macha Séry