29.09.2010

Affaire Péchenard : le silence des médias en dit long ...

Qu'il fait bon d'être fils de dans la France d'aujourd'hui… Jouissant déjà de passe-droit en étant relâché par la police, le fils du Directeur général de la police nationale bénéficie également d'un silence de plomb de la part des médias. Pire certains journaux n'hésitent même pas à ériger Péchenard père en victime. Mais pour quelles raisons ? Il faut s’y faire, on peut de plus en plus souvent mesurer l’importance d’une information ou d’une affaire à la faiblesse de leur traitement par les médias, voire à leur escamotage total.

pechenard2.jpgLa volonté de ne pas savoir, de ne pas s’indigner et de laisser filer des faits objectivement énormes nous en apprend plus sur l’état de la société et de la moralité publique que ces fausses informations ou polémiques sans importance montées en mousse et qui saturent les ondes et les écrans. Le silence en dit parfois plus que la cacophonie.Ainsi en est-il de l’incroyable non-affaire Péchenard. Le Parisien a consacré la semaine dernière deux pages entières à cette histoire qui a fait « pschitt » dans les médias, alors qu’elle a scandalisé bien des lecteurs du quotidien. Nous apprenions en effet qu’en février 2009 le fils (16 ans) du Directeur général de la Police nationale (nommé à ce poste par son ami d’enfance Nicolas Sarkozy) a été contrôlé en état d’ébriété après avoir fait le zouave avec son scooter sur le trottoir des Champs-Élysées. Le fils à papa a alors injurié un policier en le houspillant : « Tu fais qu’un métier de con, je vais te muter à la circulation ! », « Je vais t’exploser, t’es qu’une merde ! ».


Le fonctionnaire prend mal les choses - ou plutôt les prend comme on lui a appris à les prendre – et voit là des injures caractérisées à représentant de la force publique. Il décide de porter plainte. Mais le fiston a décliné sa considérable hérédité (qui semble l’avoir assez bizarrement éclairé sur la grandeur du métier de policier…) en expliquant que son géniteur allait mettre à raison tous ces minables. Prévenu, le papa a effectivement rappliqué dans le commissariat à 3 heures du matin. Et alors-là, tenons-nous bien les côtes, Frédéric Péchenard nous dit aujourd’hui qu’il a agi comme agit tout père dans pareille circonstance : il a évité à son fils de finir la nuit en garde-à-vue et a eu une gentille discussion à huis clos avec le policier qui avait malencontreusement porté plainte, une pièce spéciale étant mise à sa disposition pour qu’il puisse fondre en excuses sans témoin : on le sait, on a du tact dans les commissariats….

police.jpgA l’issue de ce colloque singulier, le policier injurié, ému par les excuses du papa, a spontanément décidé de revenir sur son emportement procédurier et a retiré sa plainte. Il y a donc des papas plus persuasifs que les autres. Il lui a suffi de bien parler avec son cœur pour que tout se règle : il est reparti avec son garçon et les policiers n’ont pas, comme ils auraient dû le faire, informé de l’incident le Parquet qui, seul, avait le pouvoir de classer l’affaire. Passons sur le fait que Frédéric Péchenard fait ainsi partie de ces parents défaillants incapables de tenir leurs enfants et dont son ministre de tutelle propose de leur supprimer les allocations familiales ou de les mettre en prison. Le réflexe d’un bon père et d’un haut fonctionnaire intègre aurait été de demander aux policiers d’agir à leur habitude en laissant son fils se dégriser en leur compagnie jusqu’à l’aube.

Il aurait ainsi fait à la fois acte d’éducation familiale et d’éducation civique.Relevons plutôt que le chef de la police était bien dans un de ces cas de figure pour lesquels certains ont réclamé des lois sur le harcèlement des supérieurs sur leurs subordonnés, lois applaudies par la plupart des médias. Quelle était en effet la liberté d’action du pauvre flic de base humilié par le fils de son grand patron ? Or le fait, pour un détenteur de la force publique, de détourner la loi commune au profit d'un proche s'appelle tout simplement du népotisme, infraction réprimée par les lois de la République. Ajoutons que, par cette forme de harcèlement implicite, le patron de la police tenait devant ses subordonnés pour une vétille, l’irrespect pour les fonctionnaires chargés de la sécurité publique, alors qu’il s’emploie publiquement à mettre en application la politique actuelle réprimant sévèrement ces comportements irrespectueux quand ils viennent de jeunes issus de quartiers de banlieue où il n’y a pas beaucoup de fils à papa.Oui, cette affaire est énorme et l’on peut légitimement la considérer sur le plan de la sécurité comme l’équivalent, dans le domaine fiscal, des passe-droits révélés par l’affaire Bettencourt.

C’est pourquoi son traitement dans la presse est révélateur : rien ou presque. Mieux, même, ont été relayés tous les communiqués de soutien des syndicats de police prenant fait et cause pour leur grand patron injustement accusé ! Misère du corporatisme, de la cogestion et de l’intimidation hiérarchique : les mêmes leaders syndicaux qui nous alertent en permanence – et à juste titre croyions-nous – sur l’irrespect et l’incivisme croissants dont souffrent les policiers, considèrent officiellement qu’il y a des irrespects et des incivilités plus égales que d’autres… Ajoutons que les syndicats de policiers, prompts à dénoncer le laxisme des juges qui relâchent trop souvent les sauvageons trouvent normal de ne même pas signaler celui-là au Parquet…

Il y a quelques décennies, dans les mêmes circonstances, Péchenard aurait dû démissionner dans l’instant. Circulez, il n’y a rien à voir, reprennent aujourd’hui la plupart des médias qui l’ont même transformé en …victime. Comme Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1 qui, trouvant visiblement toute cette histoire risible, baguenaudait avec son invité Péchenard, lequel feignait de souffrir en direct -« Ça m’a fait mal »- , s’estimant la victime -« On a voulu me salir »- et ironisant sur le « scoop formidable » que constituait la révélation du passe-droit offert à son rejeton. Le lendemain, Libération faisait encore mieux : en deux pages d’interview du Directeur de la Police Nationale, pas une seule question sur le sujet… Tout cela parce que la plupart des rubricards qui suivent la police ont l’habitude de travailler et d’obtenir leurs informations avec l’accord de la hiérarchie policière. Et parce que beaucoup des patrons de presse ont pour réflexe d’appeler des Péchenards quand ils ont eux-mêmes – ou leur progéniture… - des ennuis avec la maréchaussée. Où l’on comprend ainsi que l’entrelacs de réseautages, de passe-droits, de renvois d’ascenseurs - cette déliquescence des grands principes républicains - ne constituent pas un monopole sarkozyste…

Eric Conan - Marianne Dimanche 26 Septembre 2010

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.